Le sable. Deuxième ressource la plus exploitée au monde après l'eau. Utilisé dans la construction ou l'agriculture, on en extrait 50 milliards de tonnes par an dans le monde, dont 6 milliards dans l'océan. Mais dans ce domaine, la France fait aujourd'hui figure de bon élève. Explications.
Le code minier qui régit l'exploitation du sable, notamment marin,a changé en 2022. Une réforme qui fait suite à quinze années d'une mobilisation citoyenne emblématique contre l'extraction du sable coquillier en baie de Lannion, dans les Côtes d'Armor.
Un soulèvement de "Gaulois"
Officiellement, le collectifPeuple des Dunes en Trégor, qui regroupait une vingtaine d'associations, est dissousdepuis un an. Pourtant tous les anciens mobilisés ont répondu présents pour venir raconter leurs années de lutte contre l'extraction de sable dans la baie de Lannion. Tout a commencé en 2010, lorsque laCAN la compagnie armoricaine de navigation, filiale dugroupe agrochimique breton Roullier, a présenté un projet d'extraction de 400 000 mètres cube de sable coquillier par an, pendant vingt ans, à seulement 5 kilomètres de la côtede 13 communes concernées.
Ce sable étaitdestiné à l'amendement agricole, pour rendre les sols bretons (où il n'y a pas de calcaire) moins acide. Ce sable devait pour l'industriel remplacer lemaërl,une algue calcaire très utilisée depuis les années 1950 pour la fertilisation des sols mais dont l'exploitation est interdite depuis 2010. Lors de l'interdiction, le groupe Roullier s'était vu proposé pour le remplacer, l'extraction du sable coquillier en baie de Lannion sur 4 kilomètres etentre deux zones Natura 2000protégées.

"C'est vrai que nous étions un peu des Gaulois mais le problème c'est que dés le départ l'état et l'industriel nous ont menti. Tout ce projet comme tant d'autre a été fait en ignorant la population et les élus locaux" s'agace Alain Bidal, président du collectif Peuple des Dunes en Trégor. Dés l'enquête publique, les études manquaient. Rien sur l'état initial de la baie de Lannion. Rien sur les besoins réels des agriculteurs en volume de sable coquillier chaque année. Rien sur les impacts environnementaux d'un tel forage. Et pour cause, dans le code minier français ce sont les industriels exploitants le sable qui financent les études d'impact notamment environnemental.
Ce sont donc les citoyens, les professionnels et les élus locaux qui ont financé de telles études. "Nous avons montré que cette dune sous marine est un lieu d'écloserie pour une espèce que nous connaissions mal, le lançon, et qui est pourtant la base de toute la chaine alimentaire des poissons nobles du type Daurade, Bar ou Saint Pierre mais aussi des oiseaux marins protégés dans la zone des 7 îles juste à côté." Alain Bidal, président du collectif Peuple des dunes en Trégor.
Très vite, ce projet d'extraction de sable a donc fait localement l'unanimité contre lui; mobilisant plaisanciers, plongeurs, militantsde la Ligue de protection des oiseaux, professionnels du tourisme et bien sûr les 49 bateaux des marins pêcheurs locaux qui défendent une pêche locale et durable en baie de Lannion sans chalutage. Pour eux, l'extraction de sable avec tous les rejets de particules fines dans l'eau et le bruit sous-marin insupportable, signifiait la fuite des poissons et donc la fin de leur carrière.
Les pêcheurs et les plongeurs qui vivent la même chose au large de Bréhat, où il y a une concession d'exploitation de sable marin depuis vingt-cinq ans, nous l'ont dit."Là bas, le fond marin est de plus en plus profond et il est lunaire", confie le président duCap, le club de plongéede Trébeurden.
Alors le collectif mène et finance des études, lance des actions en justice, organisetoutes sortes demanifestations qui réunissent des milliers de personnes à Lannion. L'une d'entre elle organisée par l'associationSauvegarde du Trégorréunit jusqu'à 5000 personnes à Lannion en septembre 2016 alors que l'extraction a lieu en pleine nuit malgré les procédures de justice en cours. Car, malgrédes concessions en 2015, l'État et l'industriel s'entêtent contre les citoyens et contre les élus locaux poussés à la mobilisation.

L'affaire devient politique
"L'unanimité des élus locaux était assez inédite. Nous nous mobilisions pour défendre notre environnement mais aussi nos ressources économiques et bien sûr nos côtes. Parce qu'avec la montée des eaux, toute destruction d'un obstacle sous marin comme une dune n'est pas acceptable, surtout si c'est pour servir les profits d'un géant industriel." se souvient Joel Le Jeune, le maire de Tredrez Locquémeau, qui présidait alors laCommunauté d'agglomération de Lannion Trégor.
En mai 2017, la députée Corinne Erhel, très mobilisée contre l'extraction du sable en baie de Lannion et qui avait rejoint le camp d'Emmanuel Macron, meurt pendant un meeting. Un an après le président Macron fait marche arrière (en tant que ministre en 2015 il avait soutenu le projet) et suspend l'exploitation du sable et la concession sera finalement officiellement abandonnée en 2024.
Cette mobilisation a fait date car entre temps le code minier qui régit l'exploitation du sable a changé. Les industriels sont aujourd'hui responsables durant trente ans des possibles dommages environnementaux causés par l'extraction du sable et la règlement impose maintenant plus de concertation avec des tiers, avant le dépôt d'un projet d'extraction. En revanche, les études d'impact environnemental sont toujoursfinancées par les industriels (contrairement à la Belgique où elles sont financées de manière indépendante).

Le combat contre l'extraction de sable continue
Il n'existe pas d'études aujourd'hui sur l'état initial des dunes sous-marines avant extraction. De même, les études sur les impacts croisés des activités maritimes (dragage, extraction de sable et éoliennes, par exemple) sont inexistantes. Très peu d'études existent sur l'impact de l'extraction du sable sur le recul du trait de côte. Résultat: si, en France, l'extraction de sable marin reste limitée (en Bretagne, il reste deux sites d'extraction de sable coquillier contre dix il y a quinze ans, d'après l'Ifremer), elle est encore loin d'être interdite.
Contacté, le groupe Roullier a refusé de répondre à nos questions mais une source proche de l'industriel rappelle que les 17 concessions de sable marin en France n'extraientque 2% des 450 millions de tonnes prélevées chaque année dans les terres. Ce qui n'empêche pas le groupe de porterun nouveau projet d'extraction de sable au large de Noirmoutier et defaire à nouveau face à une forte opposition locale.
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